Les Dominicains de Bordeaux Laudare, Benedicere, Praedicare

Le retable

Construction

Le décor du chœur de l'actuelle église Saint-Paul-et-Saint François-Xavier ne fut entrepris sous la forme que nous lui connaissons aujourd'hui qu'en 1741 et achevé en 1748, alors que l'édifice avait été construit entre 1663 et 1676. L'autel et son tabernacle, le fond du chœur contre lequel s'adosse l'apothéose de saint François-Xavier et le baldaquin qui la surmonte forment un ensemble complexe mais cohérent grâce à son unité stylistique. Il a fallu pour aboutir à ce résultat la conjonction de deux talents : celui du sculpteur parisien Guillaume Coustou et celui du Bordelais Pierre Vernet, sans doute le meilleur sculpteur de la ville, habitué aux grandes commandes religieuses. Y eut-il concertation entre les deux personnages ou le programme fut-il dirigé par les Pères jésuites ? C'est la seconde solution qui paraît la plus vraisemblable, Coustou sculpta le tabernacle de marbre vert et le groupe de l'apothéose dans son atelier de Paris, les deux œuvres  ne furent acheminées pour leur mise en place qu'après leur total achèvement. On prétend que le jeune sculpteur accepta cette difficile commande pour prouver son talent propre, lui qui avait déjà un nom et un prénom célèbres y gagna un numéro et un qualificatif puisque pour le distinguer de son père on l'appellera désormais Guillaume II Coustou ou Guillaume Coustou le jeune.
Le complément du décor en marbre rouge du Languedoc figure un immense baldaquin dans lequel s'inscrit l'œuvre de Coustou. Deux paires de colonnes et quatre pilastres à chapiteau corinthien doré juchées sur de très hauts socles soutiennent un entablement à frise nue et corniche à denticules sur lequel repose les supports en formes de volutes du couronnement au centre duquel règne le triangle de la Trinité dont les rayons brillent jusqu'à la voûte en berceau du chœur. Il est entouré de nuées et d'angelots. Un gros cartouche orné du monogramme du Christ broche sur la partie centrale de l'entablement, soutenu par d'autres angelots. Des chutes d'objets liturgiques et religieux ornent les panneaux à cadre aux angles rentrants adoucis qui ferment le fond du chœur entre les pilastres. 


Iconographie

On rappellera ici simplement pour mémoire que François naquit en 1506 en Navarre, qu'il fut à Paris parmi les premiers compagnons de saint Ignace qui l'envoya en mission en 1540 vers les Indes. Il mourut en 1552 d'épuisement en vue de la Chine après avoir visité et converti des milliers de fidèles en Inde, en Indonésie, dans les Moluques et au Japon.
L'iconographie de saint François-Xavier, rendu populaire dès après sa disparition est plutôt abondante. Elle s'est très vite enrichie dans des proportions frisant le peu raisonnable. A sa mort il avait par exemple été reconnu auteur d'une guérison miraculeuse et au milieu du XVIIème siècle on lui en accordait une bonne cinquantaine. Outre dans l'exercice d'innombrables scènes de guérison, le missionnaire est le plus souvent représenté la soutane entrouverte laissant apercevoir son cœur enflammé, il tient fréquemment contre sa poitrine le crucifix que lui avait confié Ignace lors de son départ en Orient, crucifix auquel il tenait d'autant plus qu'il l'avait perdu en calmant une tempête au large des Moluques et qu'un crabe avait eu la délicatesse de le lui rapporter alors qu'il avait débarqué sur une plage de l'archipel. Ce crabe a fini par devenir l'un de ses attributs et se trouve souvent représenté à ses pieds. On trouve également de nombreuses représentations du saint expirant dans sa hutte de Sancir alors que s'éloigne le navire qui l'a déposé en vue des côtes de la Chine.
A Bordeaux la légende dorée est abandonnée. Les auteurs ne sont pas d'accord sur l'iconographie, la plupart y voient une apothéose du saint dont le professeur Tallard qui la rapproche de la fameuse Transverbération de sainte Thérèse, d'autres y voient plutôt une assomption dont François-Georges Pariset qui la décrivait en ces termes savoureusement nationalistes : Assis sur des nuées, le saint. Plis des étoffes, franges, broderies, dentelle, mouvement des bras étendus, des mains ouvertes, tout est naturel, sans ostentation, et le visage juvénile exprime une adoration confiante. Réalisme, agitation, mysticisme, ces éléments qui deviennent dans le rococo européen vérisme et outrance, sont ici tempérés par la mesure et la distinction française et, au-delà des formes, l'émotion religieuse manifeste des qualités analogues de douceur, de retenue et de grave conviction.

Philippe Maffre

 



BORDEAUX, LES JESUITES
ET L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE du XVIIIème SIECLE

La première implantation de la compagnie à Bordeaux s'est faite en 1572, à travers la création d'un collège, très demandé par le parlement et les jurats de la ville. Ce collège était situé à l'emplacement du lycée Montaigne, dans l'ancien prieuré Saint-James, confié aux jésuites. Ce prieuré était particulièrement bien situé, le long de la rue du Mirail et des Fossés (futur cours Victor Hugo) à proximité de l'hôtel de ville et du collège de Guienne. Il servait de lieu d'accueil pour les enfants abandonnés et les pèlerins de Saint-Jacques et se trouvait doté d'une vaste chapelle, la Madeleine. Par décret royal, le nouveau collège, financé par plusieurs parlementaires, dont François de Baulon et Ogier de Gourgues, maître des requêtes de l'hôtel de ville, bénéficiait du même statut que l'université et le collège de Guienne, plaçant les étudiants étrangers sous la seule autorité des juges royaux.

Malgré des déboires juridiques, provenant des héritiers Baulon, le collège se maintint à Bordeaux dans d'excellentes conditions jusqu'en 1589 où une crise avec la ligue, Henri III, puis Henri IV les obligea à se retirer à Saint-Macaire. Ils restèrent cependant populaires et, soutenus par le parlement et le cardinal-archevêque François de Sourdis, purent revenir définitivement à Bordeaux en 1603, après l'Edit de Rouen. Consolidé au plan financier par un jugement favorable sur l'héritage Baulon et d'autres legs, le collège prospéra jusqu'en 1762.

En 1607, à la suite du legs de l'ancien écolier Étienne de Minvielle, un noviciat est créé à Bordeaux, le troisième en France après Avignon et Toulouse. Ce noviciat d'abord installé rue du Hâ, fut transféré près de l'église Sainte-Croix. Entre 1671 et 1762 on y dénombre 1446 entrées de novices.

Ne subsistent aujourd'hui du noviciat que la magnifique porte de la place Sainte-Croix, une façade rue du Noviciat et le maître autel de la chapelle transféré au collège de Tivoli.

L'histoire d'amour avec Bordeaux se poursuivit par la création de la quatrième maison professe de France, après Paris, Grenoble et Toulouse, grâce au Cardinal François de Sourdis qui installa le 11 novembre 1624, près de l'église Saint-Paul, le nouveau père provincial Jacques de Moussy. La chapelle de la maison professe fut consacrée à saint François Xavier.

Grâce au don d'Olive de Lestonnac, une nouvelle église fut construite, avec pour architecte le Frère Mathurin Biziou de 1661 à 1673 secondé par les Frères François-André et Robert Charpentier. L'église est bénie le 22 mai 1676 par l'archevêque Henri de Béthune ; elle est un remarquable exemple de l'architecture de la contre-réforme dite post-tridentine. De grandes dimensions (45 mètres de long par 19 mètres de large), cette église dérive de l'église mère du Gesù à Rome, mais aussi de celle de la maison professe de Paris faite par le Père Martellange. D'une grande unité, elle est voûtée d'arêtes à doubleaux avec une coupole à la croisée d'un transept sans saillie et dispose de chapelles latérales communicantes aussi larges que peu profondes. Conformément aux recommandations du concile de Trente, elle est bien éclairée et concentre sa décoration sur les autels, la tribune d'orgue et la chaire. Le maître autel est réalisé par le grand sculpteur Guillaume Coustou, entre 1741 et 1748, à son retour de l'académie de France à Rome.

A travers ces oeuvres, l'art jésuite peut être caractérisé par sa sensibilité à l'avant-garde de son temps, avec une alliance entre des Frères architectes et sculpteurs très cultivés et des jeunes artistes de renom. C'est ainsi que l'église Saint-Paul Saint François-Xavier peut être considéré comme l'un des chefs d'œuvre de l'architecture classique pour la France comme pour Bordeaux.

François GONDRAN


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